Certitude répandue chez les grimpeurs : Pour bien adhérer il faut augmenter la surface de contact sur le rocher !
Escalade et Performance - L. Guyon, O. Broussouloux - @mphora :
« établir la plus grande surface de contact avec la prise », « obtenir une surface de contact maximal » p. 96,97
FPC EPS Escalade Limoges, Site des professeurs d’EPS du Limousin, Notions de Bio-mécanique :
« Adhérence : liée aux forces de frottement, elle s’exerce sur des surfaces sans aspérité, l’efficacité de l’appui augmente avec la surface de contact et la pression exercée. »
http://www.grimpavranches.com/ :
« il est bien évident que plus il y a de surface de main en contact avec le rocher et plus l’adhérence sera importante »
etc.
Chaque fois que des grimpeurs, enseignants grimpeurs, m’ont affirmé cette évidence, je leur ai fait part de mon doute en raison d’un principe physique dont il me semblait bien me souvenir « l’adhérence ne dépend pas de l’aire des surfaces en contact ». Les muscles et la conviction étant souvent plus développés chez l’homo grimpus que son cerveau j’ai souvent eu en retour un ricanement coupant court à toute réflexion au nom de l’évidence sur ce sujet. Pourtant à l’observation, tant dans ma pratique personnelle que dans l’encadrement, j’en suis persuadé, on dit, on leur dit, n’importe quoi ! (Le croire n’est pas inutile, en commandant de se concentrer sur la surface de contact on y augmente certainement aussi la force et l’attention). Si, parfois, il est utile pour l’adhérence de maximiser l’aire apparente de surface de contact la raison n’est pas celle évoquée. Elle n’est d’ailleurs peut-être pas à chercher bien loin, j’ai une hypothèse, mais je vous la dirai pas, ça vous fera du bien de cogiter un peu.
Voici un article sérieux sur l’adhérence :
La Recherche n°447 - Décembre 2010
La friction à l’échelle microscopique
MÉCANIQUE
Des physiciens montrent que les lois classiques qui gouvernent les frottements à l’échelle macroscopique ne tiennent pas à bien plus petite échelle.
Selon une loi bien connue en physique, pour déplacer un solide, il suffit de lui appliquer une force latérale égale à la force de frottement statique qui le maintient immobile. Depuis le XVIIIe siècle et les découvertes d’Amontons puis de Coulomb, on sait comment la calculer. Il faut multiplier la résultante des forces qui font adhérer l’objet à la surface, comme le poids par exemple, par un coefficient dit de « frottement statique ». Ce coefficient dépend de certaines propriétés de l’interface, le type de matériau, sa rugosité entre autres, mais pas de l’aire apparente de contact.
Sans remettre en question ces lois classiques du frottement qui sont de portée générale et bien vérifiées à l’échelle macroscopique, de récents travaux d’une équipe israélienne prouvent qu’au niveau microscopique les choses sont plus compliquées [1].
En mesurant très précisément les contraintes subies par les microcontacts d’une interface entre deux objets, ces physiciens montrent qu’il est possible d’exercer localement une force latérale bien supérieure à la force de frottement statique sans provoquer un déplacement !
Simple sur son principe, délicate à mettre en oeuvre, l’expérience a consisté à installer, l’un au dessus de l’autre, sous une presse, deux blocs de Plexiglas transparents. Puis à pousser latéralement l’un d’eux jusqu’à ce qu’il se mette en mouvement. Durant l’opération, des jauges de déformation fixées en de multiples endroits du matériau et un système vidéo fait de caméras ultrarapides et de lasers servaient à mesurer les tensions subies localement par les deux blocs et à relever les points de contact.
Tensions variables. Le résultat confirme que les deux blocs, pourtant d’apparence totalement lisses, ne sont en contact qu’en quelques milliers de points. « Surtout, l’étude prouve expérimentalement que les tensions subies par le matériau sur ces zones juste avant le déplacement du bloc sont extrêmement variables explique Carlos Drummond, du centre de recherche Paul-Pascal, à Bordeaux. Certains de ces microcontacts sont peu sollicités, mais d’autres peuvent parfois résister à des forces latérales cinq fois supérieures à la force de frottement statique sans se détacher » L’équipe a aussi étudié la façon dont les microcontacts cèdent les uns après les autres au moment où débute le glissement. Elle a découvert qu’en fonction de la force exercée par la presse la fracture se répand sur certains tronçons plus ou moins vite. Et que ces divers régimes de vitesse seraient semblables à ceux relevés au moment de la rupture de la faille lors d’un séisme.
« Ce travail montre pour la première fois qu’il est possible de réaliser des expériences reproductibles sur une même interface en mouvement, estime Raoul Madariaga, sismologue à l’École normale supérieure. Il confirme également les observations sur les vitesses de rupture de failles, lors des séismes. Reste à étudier les ondes sismiques générées au moment où le phénomène se produit. » Vahé Ter Minassian
[1] O, Ben-David et al., Science, 30, 211, 2010. [Photos] Pour étudier la friction à l’échelle de la surface de contact, deux blocs de plexiglass transparents sont placés l’un sur l’autre. Celui du dessus est équipé de capteurs et d’un système de caméras ultrarapides pour mesurer les déformations en temps réel.